lundi 15 juin 2009


Malaïkas, le phénix du XIIIe arrondissement

      Née dans les cendres des incendies qui se sont succédés à Paris durant l’été 2005 et qui ont fait de nombreuses victimes, l’association Malaïkas œuvre afin que de telles tragédies ne se reproduisent plus. 





Le phénix est un être ancestral qui renaît de ses cendres après avoir été consumé par le feu. Malaïkas naît parmi d’autres cendres, celles d’un incendie aux tisons encore ardents. Le phénix, oiseau fabuleux et sacré des mythologies d’Europe et d’Asie, aux couleurs chatoyantes et au vol gracieux, incarne pour les hommes le mythe de la mort et de la résurrection. Malaïkas, qui signifie anges en arabe littéraire, incarne une volonté de renaissance et de vie qui est bien réelle. Car si le phénix n’existe que dans l’imagination des enfants et des poètes, Malaïkas est un être tangible qui vit et opère au cœur de Paris, et qui est né d’une des plus profondes blessures de la capitale.

C’est la nuit du 25 août 2005. Au 20 Boulevard Auriol, dans le XIIIe arrondissement, se dresse un bâtiment délabré et insalubre. À l’intérieur, dorment cent trente personnes, beaucoup d’entre d’elles sont des enfants, presque toutes sont d’origine africaine. C’est alors qu’un incendie se déclare dans la cage de l’escalier. Les flammes, attirées par un appel d’air, montent vers les étages. En effet, les locataires ont ouvert portes et fenêtres dans l’espoir de ne pas succomber à la fumée. Le feu se propage alors rapidement et s’en prend aux habitants. Quand les pompiers parviennent enfin à maîtriser l’incendie, le bilan est lourd : 17 victimes, dont 14 enfants. C’est de ces cendres encore chaudes que Malaïkas voit le jour.

Avant d’être relogées, les familles du Boulevard Auriol passent une semaine entière dans un gymnase mis à disposition par la Mairie du XIIIe arrondissement. Alors que dehors la polémique sur les conditions misérables des logements sociaux fait rage, à l’intérieur le deuil des victimes paraît insurmontable. Mais la solidarité entre les survivants les rend forts. Ils se sentent oubliés par la société civile et par les autorités, mais entourés par leurs proches et leurs amis. Les mots de Wahabou Jammeh, jeune président de Malaïkas et ancien résident du bâtiment incendié du Boulevard Auriol, portent encore les marques de ces jours noirs : 

 

« On était furieux, déçus, on ne pouvait pas y croire. Ça aurait pu mal tourner très facilement, on aurait pu se pencher du mauvais coté de la balance et défouler notre rage dans la casse et dans la violence. Il nous restait soit ça, soit ce qu’on a effectivement fait. »

 

Par la parole et l’échange, les fondateurs de l’association Malaïkas parviennent à maîtriser la colère et  la rancune qui auraient pu les ronger et les achever. Ils y puisent au contraire une énergie nouvelle.

Les premières réunions, qui se déroulent dans le camp de réfugiés improvisé en plein milieu de Paris que constitue le gymnase, partent d’une considération très simple. Ce qui a emporté leurs proches, ainsi que les nombreuses autres victimes des incendies de l’été 2005, n’était pas tant le feu, mais plutôt leur incapacité à faire face à l’urgence et le manque d’équipement de sécurité. Wahabou est amer :

 

« Si les enfants, ainsi que leurs parents, avaient su qu’en cas d’incendie il ne faut jamais ouvrir portes et fenêtres ni essayer de quitter les lieux, mais plutôt d’empêcher l’air chaud de circuler en bouchant tout accès avec des chiffons mouillés, le bilan aurait été différent. Si la cage avait été pourvue de détecteurs de fumée et chaque appartement équipé d’extincteurs, le feu aurait probablement pu être étouffé dans l’œuf. »

 

Des « si » que le jeune homme a vite concrétisé avec l’aide d’une équipe soudée et débordante de vie. Depuis octobre 2005, juste deux mois après l’incendie, les bénévoles de Malaïkas ont entrepris 24 opérations d’équipement de bâtiments dans les arrondissements du nord et de l’est de Paris. Ces interventions arrivent parfois à mobiliser jusqu’à 40 personnes en plus du noyau des sept fondateurs. Ils poursuivent deux buts principaux : équiper et former. D’abord ils installent des dispositifs anti-incendie dans les appartements, ensuite ils organisent des formations pour apprendre aux locataires comment les utiliser, « les bons gestes » à tenir en cas de danger. Comment empêcher le feu de se propager, comment se placer par rapport aux flammes, là où se trouve l’air respirable, comment appeler les pompiers sans paniquer et leur donner toutes les coordonnées nécessaires à l’intervention : voilà ce qu’ils expliquent simplement aux adultes aussi bien qu’aux enfants, en employant le langage le plus conforme à leur interlocuteur.

L’association est née d’un groupe de jeunes à l’esprit entreprenant et à l’imagination fertile, qui savent très bien comment rassembler les fonds pour financer leurs projets. Bien que supportés par des dons privés de particuliers et d’entreprises et surtout par des subventions départementales, les bénévoles de Malaïkas organisent aussi de véritables opérations de financement et de médiatisation. Ces événements sont souvent parrainés par les personnalités du monde sportif et de la musique. Un exemple parmi tant d’autres : le « Basket France Contest », une performance mêlant basket, danse et musique hip-hop, présentée en novembre 2008 en collaboration avec la Fédération Française de Basket-ball.

 

Malaïkas rend hommage par son nom aux jeunes victimes de l’incendie d’où elle est surgie. Par son action, elle s’engage à ce que d’autres ne les rejoignent pas et que le feu soit maîtrisé  là où l’ignorance et la pénurie de moyens en font un ennemi bien plus dangereux. Dans un futur proche, ces bénévoles comptent franchir le périphérique et étendre leur champ d’action à quelques communes de l’Ile de France encore à définir. Mais leur but à long terme est de couvrir tout l’Hexagone et d’y développer un réseau pouvant opérer n’importe où, n’importe quand, pour qu’aucune vie n’échappe à leur vigilance. Ce qu’ils ont bâti sur les cendres du Boulevard Auriol, ce qui est né en partie de la mort, deviendra alors un souffle vital, sous le regard bienveillant des Malaïkas, les éternels anges gardiens de l’association.

 

Emanuele Marzari

 

 

 

mercredi 10 juin 2009

Lutter contre les discriminations ethniques et territoriales à l'embauche.


Le 5 juin dernier, PARI BANLIEUES a convié chercheurs, professionnels et étudiants a discuté des discriminations ethniques et territoriales à l'embauche. Avec Edmond Preteceille, sociologue et directeur de recherche à l’OSC/CNRS, Jérôme Dubus, Délégué Général du MEDEF ILE-DE-FRANCE, et Stéphane Gatignon, maire de la ville de Sevran en Seine St-Denis, nous avons tenté de comprendre le phénomène pour envisager des solutions. Les interventions furent précédées de la diffusion du court-métragé Ma poubelle géante réalisé par l'association 1000 Visages.

Edmond Preteceille, sociologue et directeur de recherche à l'OSC/CNRS:

--> Donne le point de vue des chercheurs sur la question: la discrimination à l'embauche est officiellement reconnue mais on n'en a pas une idée très claire.


Les seules techniques permettant de démontrer l'existence de discriminations sont ponctuelles: témoignages individuels, passages en justice, techniques d’enquêtes-actions (testing).
è Il n'existe pas d’instruments de mesure pour les repérer systématiquement.


Les discriminations sont liées aux caractéristiques sociales et scolaires, il est donc difficile d'identifier le type de discrimination dont sont victimes les jeunes issus de l'immigration.
Caractériser les discriminations ethniques suppose de caractériser les victimes de celles-ci.
==> Il est alors nécessaire d'aborder la question des « statistiques ethniques ».


Mais même avec les statistiques ethniques, l’identification de ces caractéristiques reste compliquée :
1/ les caractéristiques objectives des personnes sont insuffisamment présentes dans les enquêtes: il est par exemple difficile de « repérer » les personnes de 2nd génération. On pourrait le faire si on intégrait des questions sur l’origine des parents, cela commence à être introduit dans les enquêtes mais c'est encore peu répandu.
2/ la caractéristique imputée à la personne (ex: l’appréciation de la couleur de peau) est en général une construction sociale, donc non-objective et difficile à évaluer.


On sait également qu'il existe des discriminations territoriales à il y a des "mauvaises adresses". Mais l'ampleur reste difficile à mesurer. En France, peu d'enquêtes systématiques permettent de répondre à la question.

CCL: Les discriminations ethniques et territoriales existent, mais sont difficile à mesurer, tant sur le plan théorique que pratique. Or sans instruments de mesure, il est difficile de lutter efficacement.


Jerôme Dubus, directeur général du MEDEF ILE DE FRANCE:


--> Dresse un portrait plutôt positif des efforts mis en place par les entreprises pour lutter contre les discriminations et des possibilités qui s'offrent aux jeunes.


1. Il existe des obligations légales: la discrimination à l'embauche est parfaitement interdite (c.f. code du travail). La Halde est un organisme public chargé de repérer et de sanctionner les pratiques discriminatoires.

2. De nombreuses possibilités s’offrent aux jeunes:
- Le remplacement des baby boomers à la retraite (vaut pour les postes de salariés mais également pour les postes à responsabilité).
- l'ouverture de nouveaux secteurs, notamment tertiaires, aux personnes d'une certaine origine.
1er facteur d’intégration : l’intégration professionnelle. Pour Jérôme Dubus, l’entreprise dans son ensemble (moins vrai dans les PME) a fait beaucoup d’efforts pour prendre en compte cette responsabilité citoyenne.


Il Reste aujourd’hui des discriminations contre lesquelles il est beaucoup plus difficile de lutter : l’emploi des séniors (taux d’employabilité des séniors en France le plus bas d’Europe), les employés handicapés, les inégalités homme / femme.
D'après la Halde : la discrimination ethnique concerne 26% des cas, alors que 23% des cas sont liés à un handicap physique.

==> Que fait le Medef face à cela ?

- mise en place d'un plan d’insertion des seniors à il y aura des sanctions s’il n’est pas appliqué.
- en 2006, accord inter-professionnel sur la diversité dans l’entreprise à vise à lutter contre la discrimination à l’embauche et à garantir la diversité.
- dernièrement, 2000 grandes entreprises ont signé un nouvel accord venant renforcé le premier.
- Dispositif nos quartiers ont des talents : coacher les jeunes et leur ouvrir des portes: chef d’entreprise qui parraine un jeune, l’accompagne jusqu’à la signature d’un contrat et permet au jeune d’avoir un carnet d’adresse è tres bon résultats, 300 à 400 jeunes bar + 4-5 placés par an.

NB: Ces dispositifs sont plus facilement mis en œuvre dans les grosses entreprises, mais la crise actuelle ralentie le processus.


- initiative "pas de jeune sans métier, pas de métier sans jeune", s’adresse aux jeunes pas ou peu formés et les aide à trouver des postes en alternance, en CDD ou en CDI. A permis de placer 2500 jeunes dans les entreprises en un an, en association avec le Pôle emploi. Pour Jérôme Dubus, c'est un véritable succès. Sur les 2500 jeunes placés, 500 étaient issus des quartiers sensibles.


Ces expériences sont intéressantes car elles ont permis de mettre en évidence les carences existants des deux côtés (employeur et employé). Pour les Bac +4-5, cela se passe très bien. Mais pour les non ou peu formés, l'insertion dans l’entreprise est en général très difficile (conflit, discipline peu respectée, etc.).


CCL: Malgré la crise, on serait plutôt sur la bonne voie. Des efforts ont été faits de part et d’autre. Il reste un bastion qui est sourd à tout cela, c’est la fonction publique à Il y a encore un verrou à faire sauter.


Stéphane Gatignon, maire de Sevran (93):


--> La question des discriminations est pour lui une question très politique liée à l'augmentation des inégalités, notamment en Ile de France.

Il existe des discriminations ethniques (pourquoi est-ce qu'un jeune d'origine immigrée bac +5 ne trouve pas de boulot?), et géographiques (on ne met pas son adresse sur son CV quand on habite un quartier "chaud").


Dans certains quartiers, le taux de chômage parmis les jeunes atteind 30 à 45% à quasi situation de tiers monde. Situation due à la discrimination mais également à l'asymétrie d'information, aux problèmes d'orientation et de formation. En effet, aujourd'hui dans ces quartiers, le coût des études est un problème.


Pour ce qui est des discriminations ethniques, une véritable révolution culturelle doit avoir lieu. Aujourd’hui, sans une vision de la société qui encadre et qui dise que la diversité et la « culture commune » sont des éléments fondamentaux, comment trouver le moyen de faire que chacun puisse enrichir les autres grâce à son identité particulière?


La discrimination est également liée aux problèmes de transports et à l'a ghettoïsation qui s'accroît. La mégalopole parisienne est un des endroits les plus ségrégé d'Europe. Il faut repenser l'organisation urbaine. Le Grand Paris peut apporter des solutions, mais Mr Gatignon reste inquiet pour le Pôle Sarcelles-Villiers le Belle. Laissé à l'abandon, il craint qu'il ne devienne un autre "banlieue 13".


La révolution écologique peut apporter quelques solutions car elle va créer des emplois.